Archives mensuelles : mars 2016

Victor Hugo tagueur

– Dis papi, t’aimes bien les tags ? »

Awen m’a posé cette question hier devant un horrible dessin/signature en forme de crotte de chien « décorant » le mur fraîchement repeint d’un parking à Nivelles.

– Mais non, je déteste et je t’assure que je serais très en colère si ce genre d’horreurs était peint sur la porte de mon garage.

– Pourtant à l’école, la Juf nous a demandé de réfléchir à la question « Is graffiti schilderij ?». Tu comprends ? Ça veut dire « Est-ce qu’ un graffiti est une peinture ?

– Et qu’as-tu répondu ?

– Que parfois oui, j’en ai déjà vu des très beaux à Bruxelles, des murs entiers recouverts de jolies peintures.

– C’est vrai, il y a de vrais artistes de rue, mais ce tag sur ce mur est moche quand même, non ?

– Très moche, dégueu même.

——

Aujourd’hui, deuxième jour de vacances avec mes loustics, nous nous promenons dans les ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville. La question du graffiti se pose à nouveau, un mur est « gravé » au canif de signatures diverses. Est-ce de l’art ?

Quelques mètres plus loin, ce n’est pas moi qui réponds à la question mais bien Victor Hugo qui laissa un graffiti anti-graffiti sur ce même mur : Veni, vidi, flevi – Ô fats ! Sots parvenus, ô pitoyable engeance – Qui promenez ici votre sotte ignorance – Et votre vanité – Cessez de conspuer cette admirable ruine – En y bavant vos noms qui, comme une vermine – Souillent sa majesté !

Le temps que je photographie la plaque commémorative, Awen, Max et Cyril ont pris la poudre d’escampette. En fait, ils s’en foutent royalement. Le site leur donne surtout envie de cavaler et de jouer aux chevaliers.

Pas de rester plantés devant un mur.

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Boum

Il y a une semaine déjà, les attentats. Et depuis, quasi en boucle, des informations toujours plus inquiétantes, des images douloureuses, des témoignages poignants, des manifestations d’amour et de haine. Des déclarations, des reportages, des flashes qui nous engluent, quoiqu’on dise, dans la peur. On a beau dire qu’il faut continuer à vivre, rester positif, aller de l’avant, comme la plupart d’entre nous, je n’y arrive pas vraiment. Dès que je m’assieds pour tenter d’écrire mon billet quotidien, il m’est impossible de penser léger malgré les clichés anodins que je prends pendant la journée pour susciter un billet insouciant.

Aujourd’hui pourtant, mes photos sont fraîches et joyeuses. C’est un beau jour de vacances, mes trois petits fils sont avec moi, le temps est correct et on a décidé de nous balader dans le bois pour « aller à chambourées » (wallon nivellois) c’est-à-dire cueillir des jonquilles comme le veut la tradition dès les premiers jours de printemps. Ce matin, j’ai enfin le sentiment d’aller « cueillir » quelques instants de bonheur simple et total dans un environnement paisible, intact, sans danger. Les enfants se défoulent, courent et créent des bouquets pour leur maman et leurs mamies.

Tout à coup, la douceur du moment est déchirée par une très forte déflagration. Nous sursautons, des oies ou des canards crient de l’autre côté du bois, des oiseaux chahutent dans les branches. « Papi, qu’est-ce que c’est ? Des terroristes ? J’ai peur, retournons vite à la voiture ? » Awen tremble et veut qu’on s’en aille immédiatement. Je le rassure, et aux deux plus petits qui ne se rendent pas vraiment compte, je dis qu’il s’agit sans doute de chasseurs. Awen n’y croit pas, le  » boum » que l’on a entendu est beaucoup trop fort. Moi non plus, inévitablement je pense à une explosion au coeur de la ville proche.

Nous rentrons dare-dare à la maison où je consulte internet. Suite aux nombreux appels de la population inquiète, la police de la région a publié ce tweet : « Avions militaires en exercice dans l’espace aérien belge. Mur du son franchi à plusieurs reprises = BOUM = c’est normal ! ‪#PoliceCharleroi « . Ouf ! ce n’était pas grave.

Mais je me dis quand même que vivre comme avant, quand les enfants ignoraient ce qu’était un terroriste, ce n’est pas gagné.

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Tacle

En général, je n’aime pas trop les étendards et hymnes nationaux qui entourent les matches de foot. Mais aujourd’hui, le match qui oppose nos Diables Rouges aux Portugais n’est pas un match comme les autres. Tous les Belges sont encore « comateux » après les attentats de la semaine passée. Et ce match qui devait être une fête tombe un peu mal. N’est-il pas dérisoire, presque indécent, de courir après une ba-balle, d’exciter les foules – Panem et circenses – en cette période où le recueillement et la tristesse sont encore de mise.

Je me suis quand même assis devant la télé juste après les infos encore barbouillées de larmes et de noirceur, malgré un léger sentiment de culpabilité. Oui, je vais regarder du foot, comme si de rien n’était, oui je vais mettre ma cervelle sur pause.

Et voilà, ça commence, je vois notre coach Marc Wilmots qui avant de parler de tactique dédie en toute simplicité ce match aux victimes et montre le maillot des Diables créé à la mémoire des attentats. C’est bête, mais cela m’émeut. Je vois et j’entends la chaleur du public portugais qui applaudit notre équipe. Je regarde le long travelling latéral qui balaie les deux équipes non pas côte à côte comme d’habitude mais mélangées pendant que la Brabançonne et puis l’hymne national portugais montent dans le stade, immédiatement suivis par une minute de silence. J’ai une boule dans la gorge. En général, disais-je, je reste plutôt insensible aux couleurs et ferveurs nationales (listes) qui entourent les matches de foot.

Mais ce soir, elles m’ont taclé, elles m’ont donné des frissons.

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Écrire

À quoi ça sert d’écrire ?

En lisant différents articles suite à son décès ce week-end, j’ai découvert ce que Jim Harrison, géant de la littérature américaine, répondit lors d’une interview pour l’émission La Grande Librairie en 2015 : « Il faut donner une voix aux gens qui n’en ont pas. Je crois que c’est cela la responsabilité de l’écrivain ». Magnifique et tellement difficile.

Je devrais essayer d’en inspirer mon modeste crayon de scribouillard-blogueur.

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Symboles

Un petit vent piquant balaie la Grand-Place. J’ai relevé le col de ma veste et enfoncé mon chapeau : avec le « facteur vent » comme on dit au Québec, la sensation de froid flirte avec les 4 ou 5 degrés alors que le thermomètre de mon iPhone en indique 8. En plus, le ciel est gris et lourd.

Mais les gens s’en fichent. Ils ont trop envie de voir se terminer cet hiver sans fin, de sortir de cette semaine qui les a pétrifiés d’effroi. Besoin de quitter cette touffeur glaçante, besoin de chaleur, besoin d’air, besoin d’être ensemble. Alors, les cafés ont sorti les chaises et malgré le froid, les clients s’assoient aux terrasses. Les attentats plombent encore toutes les conversations, les visages restent tendus mais quelques sourires commencent à s’esquisser et les « bonjour » sont plus nombreux que d’habitude. Il y a comme un supplément de convivialité dans l’air.

J’ai lu ce matin la triste réflexion de la première ministre polonaise qui disait, en faisant référence aux manifestations émotionnelles spontanées de la population bruxelloise après l’horreur, que « ce n’est pas avec des gerbes et des marches que l’on allait gagner la guerre contre le terrorisme ». Bien sûr que cela ne suffira pas. Mais ce n’est pas non plus seulement avec nos fusils mitrailleurs de la FN de Herstal ni nos F16 que l’on fera taire les kalachnikov de l’obscurantisme.

C’est aussi – surtout – comme vient de le dire avec courage et dignité dans le JT de ce soir, Michel Visart, journaliste de la RTBF ayant perdu sa fille dans ces assassinats, en ne construisant pas des murs, en nous ouvrant davantage, en partageant plus d’amour, « et je le dis sans pathos » précise-t-il. C’est ce que j’ai un peu ressenti ce matin, en m’asseyant près d’autres clients, pour un café brûlant et quelques mots partagés sur la terrasse frisquette de l’Hôtel du Commerce de ma ville.

Plus que sur les champs de bataille, la guerre se livre comme jamais autour de symboles. (Russel Banks)

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Pâques ou Printemps ? Qu’importe

Voici Pâques, la plus grande fête chrétienne de l’année.

Plus je parcours les réseaux sociaux en ces temps pénibles, plus je lis que les religions, quelles qu’elles soient, sont des poisons. Donc ce dimanche serait une fête « nocive ». Moi qui suis chrétien d’éducation, je ne partage pas cette idée. Au contraire. Mais je ne la combats pas non plus. Croisade pour ou croisade contre, non merci. À chacun ses croyances et ses convictions, c’est cela la vraie laïcité.

La fête de Pâques est associée dans mes souvenirs à de grands moments de bonheur. Elle représente, en effet, pour les chrétiens la résurrection après la souffrance et la mort. Le retour à la vie, à la joie, à l’amour. Et j’entends encore les chants joyeux résonner dans l’église fleurie de jolis bouquets printaniers, je vois encore danser la flamme de l’imposant cierge pascal et je m’imagine encore, jeune enfant de chœur, agiter frénétiquement la sonnette en accompagnement du tintamarre des cloches.

La fête de Pâque, sans s, célébrée il y a deux ou trois semaines, commémore chez les juifs, la fuite en Egypte c’est-à-dire la délivrance, la fin de l’esclavage. Pessa’h fête de la liberté, de la non-soumission.

Et puis, pour ceux qui ne croient pas au Dieu des chrétiens et des juifs, Pâques est la fête païenne du Printemps trouvant ses origines dans des légendes ancestrales glorifiant le nouvel équinoxe et le retour à la lumière.

Alors, loin de la noirceur de ces derniers jours, croyants ou non, fêtons Pâques et/ou le Printemps pour résister à l’obscurantisme et aux horreurs qu’il engendre. Moi, je le ferai avec ma famille en savourant les œufs, symboles de vie, pondus par mes poules ou préparés par une drôle de vache mauve et déposés dans les buissons de mon jardin par les cloches de Rome ou le lapin de Pâques (« de paashaas, papi ! » selon mon petit Cyril qui va à l’école flamande).

Joyeuses Pâques, Joyeux Printemps, Joyeux Œufs… Joyeuse Lumière surtout à nous tous.

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On ne sera donc plus jamais heureux

Hier, c’était le printemps. Ce matin, le ciel était bleu, le soleil brillait, ce devait être une belle journée. Des mésanges chantaient dans le jardin, les enfants qui passaient devant la maison pour se rendre à l’école étaient bruyants et joyeux, je prenais mon petit déjeuner en tenue de tennis avant de sauter dans ma voiture pour le match entre amis du mardi matin. Et puis la radio, et la télé, et internet…

Le bleu ciel a fait place au rouge sang et au noir désespoir. La folie meurtrière a de nouveau frappé, massacré, déchiqueté, bousillé. Cette fois si près de chez nous que nous connaissons probablement des gens parmi ceux qui pleurent.

Nous sommes angoissés pour nos enfants et petits-enfants qui vivent à Bruxelles. Très rapidement, Facebook nous signale des amis « en sécurité » et bien vite, des infos rassurantes concernant nos proches nous parviennent. Mais en même temps, des chiffres d’horreur de plus en plus lourds sont annoncés dans les médias. Nous nous sentons donc à la fois soulagés pour notre famille et effondrés pour celles qui sont dans la douleur. Le grand cirque des médias et des réseaux sociaux bat son plein. En plus des informations plus ou moins fiables, les commentaires et les polémiques explosent (pardon de ce mauvais jeu de mots) dans tous les sens. Ballet d’ambulances, pagaille d’images floues enfumées, brouhaha de blabla, la pénible histoire se répète, presqu’une habitude désormais.

J’ai quand même joué au tennis. Avec mauvaise conscience. Etrange sentiment de culpabilité de n’être pas touché par le drame. Mais il faut bien continuer à vivre quand même, ne pas se laisser paralyser par la terreur. J’ai jeté un œil sur mon iPhone à chaque changement de côté.  Et puis avec mes amis, après la partie, devant un verre, on a parlé des attentats, des morts, des blessés, de demain. Mais que dire ? Que faire ? Conversation de Café du Commerce. Une conclusion, l’insouciance n’existera plus jamais, le bonheur non plus, ce serait indécent pour tous ces gens qui souffrent aujourd’hui. Pourquoi eux et pas nous ?

Les mésanges, elles, n’ont pas cessé de chanter, j’aimerais bien qu’elles la ferment, elles me font honte.

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Glandeur ?

Il m’a envoyé un sms pour me dire qu’il devait passer à l’école pour récupérer des papiers entre trois et quatre heures et que cela lui ferait plaisir de venir me serrer la main. Je ne l’ai plus vu depuis deux ans, j’ai le souvenir d’un étudiant sympa, talentueux et turbulent. J’ai laissé la porte de la classe ouverte, mes élèves « travaillent » sur des projets de spots radio dans la bonne humeur. L’ambiance est détendue.

J’entends des pas dans le couloir et soudain je le vois dans l’embrasure de la porte. Il n’a pas changé, toujours la même allure décontractée, le sourire franc, les mains dans les poches : « Bonjour M’sieur, comment allez-vous ? ». « Bonjour Ju, ça fait si longtemps, je suis heureux de te revoir, entre dans ta vieille classe et viens t’asseoir près de moi. » Et m’adressant aux élèves : « Voici Ju, un ancien sorti de l’école il y a deux ans, un très bon étudiant… ». Et Ju continue avec un sourire triste « … et aujourd’hui, chômeur depuis la fin de mon stage scolaire. Abandonnez ces études, les gars, elles ne mènent nulle part ! ».

Je suis un peu déstabilisé par son intervention mais reprends très vite la direction du cours en improvisant un petit débat sur l’après-école et la difficulté de trouver du travail et donc, l’importance de se préparer au parcours du combattant et la nécessité de se forger un mental de vainqueur, etc. etc.

Mais au fond de moi-même, je ne peux m’empêcher d’être amer et fâché : « C’est quoi, bordel de m….., cette époque qui ne donne pas assez de travail à ses jeunes, même s’ils sont doués, bosseurs et combatifs ? C’est quoi, ces entreprises égoïstes qui « n’offrent » que des stages gratuits aux étudiants sortis des universités et hautes écoles et les jettent dès qu’il faut les rémunérer ? C’est quoi cette perspective du chômage que l’on propose aux courageux qui se sont farci avec succès trois, quatre ou cinq ans d’études avec en plus, comme Ju qui est venu me dire bonjour, quelques solides formations complémentaires… tout en prestant de nombreuses heures de petits boulots dans des restaurants, des supermarchés ou des stations de lavage de voitures.

Les experts ont sans doute plein d’explications. Mais il y en a une que je ne supporte plus d’entendre sous peine de pétage de plomb, c’est que « tous les jeunes qui sont chômeurs, c’est parce qu’ils le veulent bien ».

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Aïe

On n’a rien sans rien… Pas de roses sans épines… Vous aussi, on vous l’a répété quand vous étiez enfant ? Pour obtenir ce que l’on veut, il n’y a pas trente six solutions: il faut se battre, mordre sur sa chique. Il y a à peine quelques minutes à la télé, un footballeur disait au journaliste qui l’interviewait que son équipe allait devoir « se faire mal » à l’entraînement pour espérer gagner le prochain match.

Quand j’étais gosse, il y avait près de chez moi un sentier aux talus couverts de ronces. Qu’est-ce qu’elles ont pu me griffer et m’écorcher quand j’essayais de cueillir leurs mûres. Que de fois suis-je rentré à la maison avec une bouche de vampire, des jambes et des doigts rouges de sang (un peu) et de jus (beaucoup). Et parfois aussi avec des yeux mouillés de larmes à cause d’une épine plantée sous la peau que ma mère allait enlever tout en douceur avec une aiguille désinfectée à l’éther.

J’aimais tellement (et j’aime toujours) ces petits fruits que j’en ai planté quelques buissons dans un coin du jardin il y a longtemps. Les ronces poussaient si vite que j’ai souvent dû les tailler et aujourd’hui, les arbustes sont épuisés et ne donnent presque plus rien. J’ai donc racheté de nouveaux mûriers à repiquer, mais pas n’importe lesquels: progrès oblige, des « sans épines ».

Mais à cueillir sans péril, ne savoure-t-on pas sans plaisir ?

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