Archives mensuelles : février 2022

Y a pas d’avance

C’est une de mes expressions favorites. Y a pas d’avance ! Quand faut y aller, faut y aller. Pas la peine de freiner des quatre fers, il est l’heure d’aller de l’avant, ça ne sert à rien de soupirer, de baisser les bras, de rêver aux beaux jours d’avant. Y a pas d’avance !

Ce belgicisme traduit assez bien la mentalité des gens de chez nous, à la fois résignés et courageux. Résignés car, y a pas d’avance, faut suivre le mouvement, il est inutile de marcher à contre sens. Courageux car, y a pas d’avance, quoiqu’il arrive, il faut relever les défis.

Aujourd’hui, le soleil donnait un air de faux printemps au jardin. Même le merle s’est laissé prendre au leurre. Sur la plus haute branche du cerisier, il sifflait sa bonne humeur. Quel con ! Ne voit-il pas que derrière le sourire printanier coulent les larmes grises d’un monde qui replonge dans la peur et le malheur ?

Mais, à y réfléchir, est-il vraiment si sot de chanter que ça iraaaa mieux demaaaain ? Est-il si absurde de croire aux jours meilleurs et de faire chacun à notre place ce que nous avons à faire ? Moi, mon job de bonhomme qui prend de l’âge est de préparer la terre pour que le printemps puisse s’y installer pour relancer la vie. J’ai donc sorti les outils de ma cabane, rouillés comme mes muscles. Bien qu’encore plus lourds que l’année dernière, j’ai fait l’effort de travailler avec, pas des masses je l’avoue. Mais j’en ferai un peu plus demain, c’est promis, et puis après-demain, et ainsi de suite. Et petit à petit, le jardin sortira de son chagrin hivernal et l’on verra à nouveau y danser des reflets de soleil et des espoirs de bonheur.

Il faut y croire, y a pas d’avance.

 

 

Rêverie

Je fouille dans mes vieilleries, je (dé)range mes livres et mes disques, je cherche sans chercher. En fait, je surfe sur des vagues du passé et je tombe sur un vieux 45 T datant de 1969 du groupe d’un copain auteur-compositeur, Sylvain Vanholme : le Wallace Collection qui créa un des tout premiers rocks symphoniques. Si aujourd’hui, on n’est plus étonné par le mariage de la musique classique et de la pop-rock, en 1969 c’était extrêmement rare et audacieux. Le Wallace Collection n’avait pas seulement réuni des guitares, violons et flûtes mais s’était surtout inspiré de mélodies extraites du Lac des Cygnes composé un siècle plus tôt par Piotr Ilitch Tchaïkovski himself. Sur ces sublimes mouvements arrangés par Sylvain et ses amis, leur batteur chantait d’une voix haut perchée Daydream, une rêverie d’amour naïf nourrie de baisers parmi les fleurs au bord du ruisseau.

Ce tube planétaire que je n’avais plus entendu depuis longtemps m’a donné envie de sortir de leur poussière sur l’étagère les deux seuls CD de Tchaïkovski que je possède et d’en réécouter quelques extraits*. Même si la musique russe n’est pas vraiment de mise ces jours-ci. Et j’ai été extrêmement touché en pensant à ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine. Mais comment et pourquoi cette grâce d’un côté et cette brutalité de l’autre ?

Et si l’âme russe, la belle, la mélancolique, l’énigmatique, la généreuse, celle des Tchaïkovski à Stravinski, des Dostoïevski à Soljenitsyne se réveillait et boutait dehors Poutine et ses sbires qui l’ont remplacée par la folie et la violence…

Daydream ? Rêverie ? Oui, hélas, sans doute.

*Tchaïkovski: Quatuor à cordes n°1 en ré majeur op.11 (Quaturo Casal)

Illustration violon. (DENIS TRASFI / MAXPPP)

Des mots de rien du tout

Comme presque chaque soir, je cogite devant mon écran afin d’écrire mon billet comme je le fais presque quotidiennement depuis 10 ans. Juste écrire quelques mots de rien du tout.

Mais à propos de quoi, au fait ? Comme à chaque fois, je ne sais pas quel chemin vont parcourir mes doigts sur le clavier. Vont-ils s’emballer, lyriques, comme ceux d’un pianiste et écrire des rimes qui donnent envie de siffler?

Ou alors vont-ils piétiner, gourds et maladroits, hésitant à chaque lettre, se déplaçant à cloche-doigt, dérapant sur les touches et tapant des mots estropiés par des fautes d’orthographe et des inversions dyslexiques ?

Ou alors vont-ils écrire un ressenti insignifiant devant l’arc-en-ciel d’après la grêle de cet après-midi ou le jaune éclatant du premier mimosa de l’année ramené du marché ?

Ou se laisseront-ils gifler par les mauvais vents du jour ? Une tempête pourquoi pas ! Qui balayerait sur son passage la folie guerrière et les nuages noirs qui s’amoncellent sur tout un peuple. Oui, je voudrais des rafales de vent qui ramèneraient l’insouciance et le bonheur d’écrire des mots de rien du tout comme si de rien n’était.

мужності українському народу

Poupée

Depuis de nombreuses années déjà, une jolie poupée russe figure parmi d’autres bibelots sur un meuble de mon living, souvenir d’un beau voyage dans quelques ex-pays de l’Est. Jusqu’à aujourd’hui, elle symbolisait pour moi la joie et le plaisir des surprises car, en fait, il ne s’agit pas d’une mais de sept poupées emboîtées les unes dans les autres.

Jusqu’à aujourd’hui, dis-je.

Ce soir, la surprise – mais en est-ce vraiment une ? – venue de Russie n’a rien de souriant. En reconnaissant les territoires séparatistes pro-russes d’Ukraine et en ordonnant à l’armée russe d’y « maintenir la paix », Poutine donne un tout autre visage à son pays. Un visage qui fait peur. L’impensable est désormais possible aux frontières européennes. Depuis quelques mois, nous vivions comme si cela ne risquait pas d’arriver, nos pensées, nos conversations et nos médias n’étaient quasi préoccupés que par nos « libertés bafouées » par quelques obligations sanitaires.

Un masque tombe ce soir sur un rictus qui m’effraie bien plus qu’un virus.

Visuel d’une campagne de boycott des produits russes en Ukraine ( créée en 2013-2014)

Dans le vent

J’ai peur du vent quand il pète un câble.

Quand il menace d’arracher le toit et martyrise mes insomnies.

J’ai peur du vent quand il part en vrille et se déchaîne en bourrasques violentes.

J’ai peur du vent quand il gueule comme à l’été 2016 lorsqu’il avait amoché mon  village.

Mais j’aime le vent quand il s’apaise.

Quand il fait danser les peupliers autour de l’étang et porte le héron bien haut.

J’aime le vent quand il secoue gentiment les plumes de la mésange accrochée à la cime du cerisier.

J’aime le vent quand il murmure dans la cheminée, fait vibrer la flamme et (fre)donne quelques réponses à mes angoisses.

Blowin in the wind (Bob Dylan)

Aaron Burden/ iStock • AARON BURDEN/ ISTOCK

Travail d’avant

Donc le télétravail n’est plus obligatoire mais recommandé.

Retour au bureau, retour au travail comme avant. Beaucoup trépignent d’impatience à l’idée de sortir enfin de la cuisine, de la chambre ou de la salle de bains transformés en lieu de boulot. Beaucoup sont heureux de retrouver leurs collègues au delà de l’écran d’ordinateur. De revivre à nouveau des relations humaines réelles et non plus seulement virtuelles. Je les comprends et je dirais même que je les envie, la vie de retraité est parfois un confinement difficile.

Mais j’en connais d’autres qui tremblent. Et je les comprends aussi.

Les bosseurs de fond, par exemple. Les travailleurs de l’ombre. Les femmes et les hommes de dossiers, de réflexions, d’analyses. Celles et ceux qui ont besoin de calme et de solitude. Celles et ceux qui tournent leur table de travail face au mur, le dos tourné aux collègues, afin que leurs idées ne se perdent pas dans le brouhaha de l’open space. Celles et ceux-là redoutent de revenir au travail d’avant et de retrouver les branleurs de réunions, les agitateurs de papiers, les discoureurs de blabla, les fouteurs de pas grand-chose, les lécheurs de bottes, les bruiteurs de couloirs…

Et puis, il y a aussi celles et ceux aussi qui craignent de sentir à nouveau des mains moites sur leurs épaules, de supporter les bisous gras du matin sur la joue qui essaient de déraper sur la bouche. Celles et ceux qui se priveront de café alors qu’elles et ils et iels l’apprécient mais des pinceurs de fesses et des raconteurs de vannes épaisses glandent autour de la machine à expresso…

Le retour au bureau c’est bien. Mais la table de la cuisine ou la planche à repasser, ce n’est pas mal non plus. Courage !

(Photo Le Soir)

Calmant

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas le sage assis sur la montagne que j’essaie de faire croire. Je serais même plutôt du genre agité du bocal. Un nerveux, souvent distrait, impulsif et hyper-actif. Aujourd’hui, on me classerait sans doute dans les TDA/H. Quand j’étais petit, on me traitait plutôt d’enfant caractériel voire pleurnichard (un brèyaud disait parfois ma maman en riant et utilisant un mot wallon expressif). C’est vrai que j’ai toujours eu du mal à gérer mes émotions et cela m’a joué plus d’un mauvais tour dans ma vie. Mais bon, ce qui est fait est fait.

Ma fille m’a offert un gros pavé pour mon anniversaire. Un bouquin épais qui devrait m’aider à trouver la sérénité, à ne pas monter dans les tours, à rester zen en toutes circonstances. Un pavé de près de 800 pages retraçant trois décennies de la vie simple et méditative de Matthieu Ricard, Carnets d’un moine errant – Mémoires (éd. Allary)

Un livre doublement efficace, paraît-il, pour calmer les tempéraments les plus excités : soit vous le lisez, soit vous vous frappez la tête avec. 😉

Pfff… trop de questions

Petit clin d’œil à l’attention de mes amis profs. Tentative de conversation avec mon petit-fils de 10 ans plongé dans son manga.

– Tu es allé à l’école ce jeudi Cyril ?

– Oui, pourquoi ?

– Juste pour savoir, ce n’était pas la grève des enseignants ?

– Si…

– Euh… et il y avait quand même des profs et élèves ?

– Pas beaucoup

– Et vous avez eu des cours ?

– Non, seulement des exercices et de la gym

– Toi, ce sont bien deux dames que tu as comme titulaires ?

– Et aussi un homme, Mister H

– Mister ? Tu as déjà de l’anglais ?

– J’ai dit MEESTER, c’est le prof de néerlandais

– Ah d’accord, et il est comment ? Vriendelijk of niet ?

Cyril préférerait se concentrer sur son manga que sur mes questions. Il soupire, lève les yeux au ciel et en haussant les épaules me répond :

– Pfff… papi… c’est un prof quoi !

Et il replonge le nez dans sa BD.

Humez

Levé tôt ce matin pour me plonger dans des parfums de cuisine.

Comme chaque vendredi, je prépare le repas de mes petits-fils footeux pour leur après-entraînement et pour leurs parents. Moi ça me fait plaisir et ça me donne encore une certaine utilité, eux en cette période de télétravail et de stress covidien quotidien, un plat mijoté (qui a encore le temps de faire ça si ce n’est des papis ou des mamies ?) ça leur fait du bien.

J’ai préparé hier des carbonnades flamandes améliorées de carottes et de navets, j’avais trouvé sur internet une recette joliment appelée Carbonavet. J’ai goûté en cours de cuisson, je crois que ça va être bon (succulent me dira peut-être mon petit Cyril ) et surtout c’est plein de vitamines car je n’ai pas lésiné sur les légumes. Accompagné d’un gratin dauphinois et en dessert du pain perdu (à la demande du petit gastronome en culotte courte).

Dès 7h00, j’ai relancé la cuisson à petit bouillons pour un encore une bonne heure et la cuisine embaumait le pain d’épices moutardé, le bouquet garni de laurier, sauge, romarin et thym, de bière brune… ce n’est pas fréquent au petit déjeuner. J’ai entrouvert la fenêtre pour laisser sortir la vapeur et entrer le soleil (oui, oui, il était là) et photographié pour vous le délicieux fumet. Photo embuée, comme mon objectif et mes lunettes, à humer plus qu’à regarder.

Bon week-end dans quelques heures.

Tactique

Alexandre le gardien de but et Cyril l’ailier offensif attendent leur coach et leurs partenaires dans le couloir des vestiaires. Il ne gèle pas mais c’est tout comme, un vent froid glace le tunnel qui longe le terrain où ils s’échaufferont dans quelques minutes quand le match précédent sera terminé et que la pelouse synthétique sera libérée pour eux.

Comme chaque week-end, je suis venu encourager l’équipe de Cyril. Là, son père et moi, nous grelottons derrière la porte ouverte aux courants d’air. On caille, vivement que le coach arrive et prenne les joueurs en charge et que nous puissions nous rendre à la cafèt.

Les deux gamins, eux, ne sentent pas le froid. Pas le temps, ils sont en pleine discussion d’avant match. « Tu crois qu’on va gagner ? Oui, avec toi dans le but, ça devrait aller. Et avec toi en attaque, aussi. » Je devine plus que j’entends. Parfois, l’un montre à l’autre un geste du pied ou esquisse une parade. Je perçois le mot « penalty » dans leur verbiage… mais chut, je reste à l’écart, pas question d’entrer dans leurs secrets tactiques.

Je les observe en silence, c’est beau le foot quand c’est comme ça, entre rêve et amitié.