J’allume la télé, c’est jour de fête nationale, je me sers un rosé, je vais regarder le défilé. Les invités arrivent. Parmi eux, le 1er con de ma journée : un type qui n’a pas l’air heureux d’être là. La caméra fait le focus sur son visage, manifestement, derrière ses lunettes noires et son képi bien enfoncé, il boude. C’est notre prince Laurent. Le frère du roi. Celui qui n’a pas hésité à déposer plainte hier contre l’État, la veille de la fête du pays et des 5 ans de règne de son frère, contre la décision du gouvernement de réduire sa dotation car il ne respecte pas les contraintes de son job princier. Ce type est une victime, il n’a d’ailleurs pas hésité à faire un parallèle entre sa situation et celle des Juifs pendant la guerre. Tant de connerie, ça me gave. J’éteins la télé.
Je prends ma voiture, je décide d’aller à Nivelles. Sur la route étroite qui traverse la campagne, une moissonneuse-batteuse arrive devant moi. Je me tasse le plus possible sur le côté, deux roues dans le fossé. J’attends. Le 2ème con de ma journée est derrière moi. Il klaxonne et fait de grands gestes me signifiant «Avance papy, il y a assez de place pour passer ». Je ne suis pas pressé donc je ne bouge pas. Le con s’énerve et emballe son moteur comme… un con, donne un violent coup de volant, me dépasse en me faisant un doigt et, ouille, manque de se planter sur une des pointes de la monstrueuse machine. Ouf, il l’évite. Si je dis ouf, c’est pour l’engin, bien sûr !
Je reviens à la maison. J’allume cette fois mon portable. Je surfe et il est là. Qui ça ? Le 3ème con de ma journée, tiens ! Celui qui a toujours des commentaires imbéciles à faire. Ses idées sont bêtes. Son ignorance est crasse. Son orthographe est catastrophique. J’éteins mon ordinateur en me demandant pourquoi ce con-là pourrit-il systématiquement mon plaisir digital.
Pour me détendre, je vais au fond de mon jardin, à cet endroit délicieux sous mon poirier d’où j’ai une belle vue sur le grand étang de mon voisin. Vous savez, ce type qui (je l’ai déjà écrit) il y a vingt ans a bousillé deux de mes étés avec des grues, des bulldozers et des camions pour transformer une zone verte, sauvage et marécageuse en étang de pêche. Avec le temps, celui-ci était enfin devenu un endroit agréable, paisible, accueillant pour les oiseaux d’ici et les migrateurs.
Mais, pas de chance, mon voisin est le 4ème con de ma journée. Peut-être le plus important. Ce mec n’aime pas quand c’est cool et calme. Non, il lui faut du bruit, des machines, des moteurs. Il lui faut des travaux ! Alors, ce con a vidé son étang il y a six mois, a demandé et obtenu (Dieu sait comment !) un permis de remblayer et a profité du beau temps de ces derniers jours pour déraciner les arbres autour de son étang vide et retirer les billes de chemin de fer qui consolidaient sa berge. Bref, il a défoncé un endroit idyllique pour le transformer en immonde terrain vague qui accueillera bientôt des dizaines voire des centaines de camions qui viendront déverser des terres et des déchets de construction pour damer et polluer le sol de ce qui sera dans deux ou trois ans un lotissement pour d’horribles maisons-pavillons.
Heureusement, il reste encore au bout de mon jardin, blotti derrière la haute haie, le petit étang où chantent les grenouilles et papotent quelques canards ce qui garde au fond de ma propriété son côté bucolique.
Mais pourquoi, quoiqu’on fasse, où qu’on aille, y a-t-il toujours un con dans les parages ? Sur nos écrans, sur notre chemin, sous nos fenêtres ? Aurons-nous un jour la paix ? J’en doute car comme l’a écrit Frédéric Dard dans les pensées de San-Antonio en 1996, « Le règne du con est arrivé depuis si longtemps qu’il ne cessera qu’avec l’espèce ».