Archives mensuelles : juin 2020

Fraîcheur et profondeur

Les pieds dans le ruisseau, le nez dans un bouquin, la tête dans les nuages.

Cette fois, c’était dans les brumes épaisses et mystérieuses qui flottent sur la montagne sacrée Runani. Il s’y passe des choses étranges.

C’est sur son sommet que pendant la terrible sécheresse qui écrasa le Rwanda durant la dernière guerre mondiale, Kibogo le fils d’un roi local fut frappé par la foudre. La pluie se remit alors à tomber et sauva le pays de la misère et de la famine. Le soir dans les enclos familiaux, les vieux racontent que la mort de Kibogo n’est pas un accident mais un sacrifice. Le mont Runani devient alors un lieu de rites païens qui sera vite interdit par les padri, les pères blancs missionnaires. Non, Kibogo n’est pas monté au ciel pour accomplir des miracles, seul Yézu, comme le raconte la Bible, le Livre de la Vérité, est capable de ce genre de miracle.

Ce beau roman Kibogo est monté au ciel (éd. Gallimard) de Scholastique Mukasonga* raconte avec verve et humour, les chocs et résistances entre l’évangélisation chrétienne amenée par la colonisation belge et les croyances et traditions ancestrales du peuple rwandais. Un récit souvent drôle, une écriture poétique mais une histoire grave particulièrement interpellante en cette actualité de réflexion sur notre passé colonial.

* Dans un entretien à www.lemonde.fr accordé en septembre 2019, Scholastique Mukasonga avait confié : « Il fallait que j’écrive, comme Primo Levi, pour sauvegarder l’histoire de mes proches. Mes livres sont leurs sépultures, leurs tombeaux de papier. »

Voleurs !

Ils ont profité de notre absence, le jardin est couvert de leurs crimes. Des centaines de cerises éclatées jonchent la pelouse et les sentiers.

Quand j’arrive sous l’arbre, les derniers voyous fuient. Avec leurs mauvais camarade, ils viennent de se saouler de quelques kilos de bigarreaux bien mûrs qui auraient encore pu remplir quelques pots de confiture. Mais comme disent les anciens, il ne faut pas garder toute sa récolte pour soi, il faut laisser sur l’arbre pour le remercier de sa générosité « la part du bon Dieu » qui envoie ses anges se régaler. Ici, on parlera plutôt de « la part du Diable » tant les anges noirs qui se sont éclatés dans mon cerisier sont voraces et sans scrupules. Leurs cris semblent dire : «Tes cerises, mon vieux, elles sont maintenant à nous, on va les bouffer toutes jusqu’à la dernière, on est venu ici pour faire une teuf d’enfer ! »

Comme je l’écrivais déjà dans Orgie, un billet publié le 3 juillet 2014, «…Les étourneaux qu’on appelle aussi sansonnets sont des pirates de l’air criards et complètement dingues quand les cerises sont juteuses et abondantes. Ils les piquent alors à coups de bec violents, sucent leur sang et se gavent de leur chair, les gaspillant en pagaille et les faisant valser dans tous les sens. C’est un carnage couleur de boucherie, une razzia de vampires, une orgie hystérique. Une fois rassasiés, ivres de sucre et défoncés au jus de kirsch, « la gang » de voyous s’envole vers d’autres curées… »

Quelle est douce la vie au jardin ! 🤣

 

Vieille souche

La chaleur m’a conduit au bord de l’étang de la Dodaine pour une balade à l’ombre des grands arbres et une bière fraîche avec un bon bouquin sur la terrasse de la Brasserie du Parc. Il y a si longtemps que je n’étais plus venu ici. Pourtant c’est un endroit qui m’est cher, c’est là que fut prise ma première photo dont je me souvienne avec mes frères Etienne et Jean-Pierre. C’est là aussi qu’ensuite de nombreux autres événements de ma vie furent  kodakisés pour mes albums de famille. Avec l’étang en arrière-plan, ou le parc à fleurs et sa statue de Diane Chasseresse ou alors, évidemment, la magnifique perspective sur la Collégiale, une photo que tous les Nivellois du monde ont prise un jour ou l’autre. Et que vous trouverez sur les tourniquets de cartes postales dans les boutiques du centre-ville.

J’ai aussi quelques photos-souvenirs avec mes frères sous le vieux saule centenaire. Ce grand pleureur dans lequel, comme eux, j’ai souvent grimpé gamin pour me cacher lors de jeux de pistes avec le Patro.

Aujourd’hui, pincement au cœur, il n’est plus là. La grande faucheuse, non la grande tronçonneuse, est venue lui régler son compte. Il n’en reste plus qu’une vieille souche.

Hasard ? Dans les jeux fléchés ou mots croisés, la définition de « vieille souche » en 7 lettres est souvent… « famille ».

Noire, blanche.

La fraîcheur est enfin là. 22h55. Il fait presque noir. Douceur de soirée estivale.

Les conditions sont idéales pour écrire un beau billet. J’ai sorti l’ordinateur sur la terrasse. Je me suis servi un verre de rosé glacé. Un joli croissant de lune brille au dessus de ma tête. Les grenouilles de l’étang coassent à gorges déployées. Un merle les accompagne. Oui, je le sens, ce billet sera bien.

Toutes les conditions sont réunies pour cela. Sauf une, aucune idée, que des clichés.

Nuit noire, page blanche.

Back to MC*

22h30. Stop. J’arrête pour aujourd’hui. Je suis claqué. Je travaille depuis 7h30 du matin. Cela me rappelle le bon vieux temps de MC*Collart. Quand j’étais copywriter freelance et que j’opérais sous ce nom plagié sans vergogne sur MC* Solaar. Celui-ci cartonnait sur toutes les radios de l’époque, nous étions au début des années nonante, avec son premier album « Qui sème le vent récolte le tempo ». Un terrible auteur, un virtuose des mots qu’en tant que rédacteur j’appréciais énormément. Ses formules, ses phrasés, ses punchelines m’inspiraient beaucoup. En particulier sa sublime chanson Caroline dont la phrase « Comme le trèfle à quatre feuilles, je cherche votre bonheur
Je suis l’homme qui tombe à pic, pour prendre ton cœur »
me plut assez comme idéal à atteindre et me donna l’idée de me lancer sous le pseudonyme MC*, signifiant non pas Master of Ceremony comme se qualifiaient les rappeurs mais en toute modestie, Master of copy (et aussi, bêtement, parce qu’il s’agissait de mes initiales).

J’ai travaillé sous ce logo de deux lettres durant 20 ans avec des hauts et des bémols, mais toujours avec tonus et tempo. Pendant cette période, je prestais de longues journées, huit heures à mon bureau à Bruxelles et puis encore quelques heures le soir à la maison. J’aimais écrire quand la nuit tombait – j’aime toujours d’ailleurs – le calme, la pénombre et le silence sont de bons amis du clavier, du stylo, des cahiers et des carnets.

Mais aujourd’hui, ce n’est pas l’écriture qui m’a occupé mais… la confiture. Ben oui, on a tous nos périodes dans la vie. Certains ont des bleues, puis des roses, puis des surréalistes, puis des abstraites… moi, depuis le confinement, j’œuvre  dans le réaliste et le concret, je suis dans ma période verte, entre les salades de mon potager et les fruits de mon verger. Actuellement, c’est le sommet du pic des cerises. J’ai cueilli quelques paniers bien remplis pour les manger telles quelles, toutes fraîches, juteuses et croquantes en direct du fournisseur au consommateur mais également pour en partager avec mes enfants, mes frères, mes voisins. Pour en transformer aussi. En confitures, tartes et accompagnements congelés pour les volailles et le gibier de l’hiver.

Oui, j’ai beaucoup bossé aujourd’hui. Comme au temps où je me faisais appeler MC*.

Mais cette fois, c’était pour Master of Cherry 🍒

Mouettes avec M comme …

Hier, c’était les merles de mon jardin qui se foutaient de moi. Aujourd’hui, ce sont les mouettes d’Ostende. Non mais, ça va bien les volatiles ?

Pour célébrer le premier jour de l’été de cette année pourrie, escapade à la Mer du Nord. On est partis très tôt pour aller savourer le petit déjeuner au grand hôtel près du casino et ensuite on s’est offert une longue balade sur la plage, Marie-Thérèse pieds nus, brrr, dans l’écume, moi bien au chaud dans mes baskets sur les rides dures de la plage.

Oh ! t’as vu près de la jetée ? Une otarie (un « zeehond » d’après le panneau de la police qui interdit aux promeneurs de s’arrêter ici sous peine d’amende de 250 euros… ils ont toujours le mot sympa pour accueillir les touristes sur cette côte). Nous allons donc nous asseoir plus loin pour souffler un peu. J’allonge les jambes pour me détendre et splash, une tiédeur molle s’écrase aussitôt sur mon pantalon… après le message de bienvenue des poulets, voici celui des mouettes.

Quelques quarts d’heure plus tard, on s’est trouvé un banc tranquille près du port pour pique-niquer. Et devinez qui vient chahuter autour de nous et mendier un peu de nos maatjes et nos crevettes ?

Hé bien non, vos gueules les mouettes, vous n’aurez rien, fallait pas me ch… dessus !

Grossier merle !

Comme chaque matin, je pratique mes exercices vestibulaires pour gérer mes vertiges. En cette saison, je m’installe sous le cerisier, tranquille, à l’abri des regards. Il faut dire que cette gymnastique matinale est assez ridicule. Comme le dit « aimablement » ma femme, on dirait un moine bouddhiste occupé à marmonner ses prières et faire ses courbettes. C’est vrai que je dois compter tout bas en remuant la tête dans tous les sens afin de replacer les cristaux de l’oreille interne dans leurs cavités. Il me faut ensuite tourner sur moi-même dans une sorte de chorégraphie stupide pour stimuler mon sens de l’équilibre. Ce qui est loin d’être évident : à la fin de la séance je ressemble moins à un bonze qu’à un moine trappiste ayant abusé de sa bière d’abbaye. Je titube tellement que je crois parfois me tenir pour ne pas tomber.

Ce qui déclenche des fous rires et des jacasseries au-dessus de ma tête. Les merles moqueurs, nombreux en cette saison dans le cerisier, me balancent sur le crâne les cerises bien juteuses qu’ils ont juste becquetées et qu’ils gaspillent en sifflant comme des connards. Alors, je tape dans les mains pour les chasser, ils se marrent encore plus et s’envolent en poussant des cris qui ressemblent à des jurons ce qui serait, paraît-il, à l’origine de l’expression « être un grossier merle ».

On pourrait également dire être « béotien comme un batracien » car après eux, ce sont les grenouilles de l’étang qui se mettent à rigoler bêtement.

Guerre bactériologique

Les hostilités sont déclarées, fallait pas me chercher !

10ème jeune salade bouffée par les racines ce matin. Les vers blancs, larves de hannetons, ont envahi mon jardin. Quand je peux en attraper un, je le jette aux poules comme autrefois le faisaient aux lions les empereurs romains avec leurs ennemis.

Mais cette fois, j’ai décidé de passer à la vitesse supérieure et de contrattaquer en force avec une armée d’alliés redoutables, un bataillon composé de quelques milliers de Nématodes dits auxiliaires, des vers parasites microscopiques, véritables monstres qui s’introduisent à l’intérieur des insectes ravageurs pour les détruire et aider le jardinier à sauver ses bébés légumes, ses buis chéris ou encore les jeunes fruits de son verger. J’ai pulvérisé ces micro-organismes un peu partout… ça va chier comme aurait dit le général Bigeard (ou le comique-troupier Bigard) !

Et ce n’est pas tout. Des colonies de pucerons ont osé colonisé mon pommier pour en sucer les feuilles et les racornir à mort. Pour lutter contre ces salauds, rien n’est plus costaud qu’un gang de coccinelles prédatrices. J’ai donc téléphoné à mon fournisseur de mercenaires potagers qui m’a aussitôt envoyé une centaine de jolies tueuses (bêtes à Bon Dieu, ha ha, tu parles !) que j’ai aussitôt larguées sur le champ de bataille. Terreur garantie dans le pommier: chers amis pucerons, vous allez déguster !

Qui pensait que la guerre bio était une activité de doux papi hippie ? 

Courage p’tit mec !

Retour à la vie presque normale.

Les commerces, les restos, les terrasses, les marchés, les déplacements, les excursions… tout s’ouvre à nouveau, progressivement mais sûrement. Les enfants ont repris le chemin de l’école. La vie renaît. J’ai même entendu ce matin le premier avion décoller de l’aéroport pas loin de chez moi.

Tout revit. Enfin presque. Pour une catégorie de la population, rien ne change. Ils sont comme oubliés. Qui ? Les ados.

Pour eux, le lycée ou le collège reste fermé. Pas de sport en équipe non plus. Quant aux camps de l’été si attendus, rien n’est encore vraiment décidé. Les fédérations se tâtent, sera-t-il possible de mettre en place les mesures de sécurité ? Les fêtes, les festivals, les soirées, ça c’est sûr, pas question. Quasi tout ce qui fait la vie d’un adolescent est interdit : les découvertes, les apprentissages, les premières libertés, les bonheurs en groupe ou les premiers émois sur un banc public… Il ne leur reste que leur Samsung ou leur Huawei en poche. Oui les ados, particulièrement les plus jeunes, ceux qu’on appelle les pré-ados, sont les oubliés du confinement et du déconfinement. Si le retour à l’école gardienne ou primaire de leurs petits frères et sœurs était impératif pour que les parents puissent reprendre le boulot, eux peuvent rester seuls à la maison, ça ne gêne personne et cela n’entraîne aucune séquelle économique.

Leur solitude ? Leur tristesse ? Leurs frustrations ? Leurs angoisses ? Bah, ce n’est pas grave, ça va passer. Et puis, il n’y a rien à craindre, ils sont encore trop jeunes pour se regrouper et manifester leur colère. Alors ils assument tant bien que mal. Plutôt courageusement. J’en vois passer de temps à autre dans ma rue, à deux ou en solitaire, le gsm collé au nez ou à l’oreille.

Que pensent-ils vraiment de cette période ? Quand je pose la question à Awen qui a 13 ans, il soulève les épaules et me répond brièvement « ça va », il ne veut pas m’inquiéter mais je vois bien qu’il en bave, que ses copains lui manquent terriblement, que l’absence de vrais cours en classe l’inquiète, que l’avenir lui fait peur. Je vois bien aussi qu’il ne se sent pas respecté par notre société. Aucun « vieux » n’a encore remercié officiellement tous ces jeunes privés de vie sociale et de plaisir depuis trois mois, surtout pour protéger leur santé de vieilles personnes à risques. Pas non plus ou si peu de mots de reconnaissance et d’encouragement de la part des autorités et autres responsables. Pourtant, c’est cette génération qui prendra en pleine tronche les conséquences économiques et budgétaires de cette crise.

J’éprouve une peine et une compassion profondes pour ces gamins qui ne se plaignent pas, qui prennent leur mal en patience et dont l’écran de smartphone est devenu le seul lien social.

Dites les p’tits mecs et les nanas, je vous souhaite de tout cœur un bel été ou vous pourrez enfin retrouver vos potes en vrai, ailleurs que sur Instagram et inscrire en plein air des buts encore plus beaux que ceux que vous marquez depuis trop longtemps sur Fifa 2020.

Come on !

Chaud ou froid ?

Alors, c’était comment ?

Un ami me demandait il y a quelques jours comment j’avais trouvé Dernier été de Franz-Olivier Giesbert (éd. Gallimard). Je lui ai répondu « je ne sais pas encore, je n’en ai lu que le tiers ». Et maintenant que je suis arrivé au bout, je ne sais toujours pas. Je reste mitigé sur cette lecture d’apparence plaisante mais dérangeante.

C’est un livre à deux niveaux, d’abord un roman, une rencontre amoureuse improbable entre une femme idéaliste dont la conception de la vie peut être résumée par deux vers du poète Omar Khayyam « Sois heureux un instant. Cet instant c’est ta vie » et un octogénaire, vieux beau, séducteur, pervers narcissique, alcoolique, romancier au passé pas très net. Un type qui va mourir et qui rêve d’une dernière – ou première ? – histoire d’amour avant le terminus.

Ça, c’est ce qu’on capte au premier degré.

Mais derrière la romance, s’insinue de l’anxiété. On est en 2030, dans une France, Marseille plus précisément, accablée par la canicule, le réchauffement climatique est bien réel, paniquée par le Covid-30, entravée par des mesures sanitaires liberticides, écrasée par la bienpensance et les censures d’autorités vertueuses comme, par exemple, la commission de « moralisation de la culture » qui traque et proscrit les œuvres immorales. Franz-Olivier Giesbert s’amuse à placer à la tête de cette commission François Busnuel de la Grande Librairie. On retrouve, en effet, dans cette fiction quelques personnages du monde littéraire et des médias d’aujourd’hui. Comme Edwy Plenel de Mediapart, « Président du Haut Conseil de la morale et de la déontologie journalistiques, saint patron des médias et père de l’islamo-gauchisme ». Il y en a d’autres mais je ne vais tout dévoiler. Giesbert a, semble-t-il, plus d’un œuf à peler avec ses confrères.

L’histoire d’amour, je l’avoue, m’a un peu barbé. Ce qui m’a plu, ou du moins interpellé, ce sont les visions du journaliste et chroniqueur Giesbert. Le monde de demain tel qu’il le croque est plutôt angoissant malgré son écriture légère. Oui, la plume est vive, les dialogues ont du peps, les personnages sont colorés, c’est du Giesbert. Mais le fond, à savoir l’avenir qu’il nous prédit, n’est pas très réjouissant. Alors quoi ? 

Alors rions-en, écoutons Omar Khayyam, vivons l’instant. Comme le dit Antoine, l’octogénaire, avec « un rire qui ressemble à un râle », quelques heures avant de mourir du cancer et de sérieuses emmerdes, quand il invite son amoureuse pour un dernier déjeuner insouciant : « Laissez-moi vivre jusqu’à ma mort ».

Cette phrase est probablement celle que je retiendrai de ce livre. Elle m’a fort touché en cette période où tant de personnes âgées sont mortes confinées, intubées ou oubliées, privées des leurs et d’une fin de vie… vivante.