Archives mensuelles : septembre 2023

Vestiges, vertiges

Côté recto, celui que je connais bien, Habib Harem est un copain de tennis. Côté verso, celui que je ne connais pas, il est aussi un artiste-graveur de talent. Je suis allé à la découverte de ce « verso » dans l’ancienne petite gare de Morlanwelz, la Garalar, où il expose ses « Trou(v)ées » des gravures créées à partir de débris ramassés à gauche et à droite, de ci de là.

Cette accueillante salle d’expo est à deux pas du célèbre Musée archéologique de Mariemont, un heureux hasard pour Habib qui est féru d’archéologie. Depuis son plus jeune âge, m’explique-il, il ramasse des vieilles pierres, des bris de poterie, des plaques de métal, bref tout ce qu’il trouve et même, ajoute-t-il en rigolant, des pièces de monnaie quand il a de la chance.

Sa découverte de Rembrandt lors d’un cours à l’athénée de son adolescence le décide à s’orienter vers des études artistiques qui le mèneront à la gravure. Les œuvres qu’il expose aujourd’hui sont des mélanges de différentes techniques, gravure essentiellement mais aussi peinture, superpositions, découpes… à partir de débris métalliques rouillés et retravaillés, qui évoquent pour lui des vestiges de vie, des fragments de rêve, des lambeaux d’émotions.

Souvent, ses œuvres abstraites présentent deux facettes, le recto et le verso, aux tonalités et feelings différents. Chacun y voit ce qu’il veut ou plutôt ce qu’il ressent. Tantôt blancheur lumineuse d’un fragment de marbre ou de  stuc ancien, tantôt grisaille d’un poumon de mineur borain. Comme je l’ai écrit dans son livre d’or, chaque pièce est un voyage imaginaire dans un rêve ou un cauchemar, correspondant aux moments recto ou verso de nos vies.

Une expo vibrante, passionnante, émouvante (voir Affiche expo)

Dignité

S’épargner et épargner à ses proches une fin de vie atroce, ce ne serait pas « digne » selon le pape François qui ce samedi, en visite à Marseille, a dans son discours mis en garde contre « la perspective faussement digne d’une mort douce ». Ajoutant lors de la conférence de presse dans l’avion de son retour à Rome qu’ « avec la vie, on ne joue pas. Ni au début ni à la fin. »

Et bien, moi, je suis complètement d’un avis contraire. J’ai même envie de vous répondre, cher Pape que « c’est avec  la mort qu’il ne faut pas jouer », qu’il ne faut pas la laisser se faire languir interminablement dans des douleurs insupportables, qu’il ne faut pas la rendre épouvantable pour celui qui s’en va ni ceux qui restent. Oui je préfère la dignité de celles et ceux qui aident les personnes en fin de vie à partir dans la douceur plutôt que dans la souffrance. Je ne vois aucun sens ni aucun mérite à celle-ci.

Je pense au dernier sourire de ma maman et je remercie son médecin d’avoir recommandé une surdose de morphine à un acharnement thérapeutique aussi pénible que vain. Je pense aussi à cette amie atteinte d’un cancer abominable et sans issue, qui il y a deux semaines a choisi l’euthanasie et s’est éteinte dans la paix, entourée de ses enfants.

Dans la dignité, la vraie pas la fausse, et l’amour, ne vous en déplaise cher François.

Papi-crêpes

Le vendredi est un jour spécial pour moi. Je cuisine pour mes deux footeux que j’accompagne le soir à l’entraînement. Le plus jeune à 17h00, le plus grand à 18h30. C’est une tradition depuis 6 ou 7 ans.

Quand ils étaient « petits », je leur faisais des crêpes pour leur goûter que l’on avalait sur un banc près de l’école avant d’aller au stade et quand Awen est entré à l’école secondaire, je l’attendais avec Cyril (et toujours quelques crêpes ou gosettes) dans l’abribus près du club.

Aujourd’hui, il est rare que je prépare encore des crêpes, je ne vais plus les chercher à l’école. En vrais ados brusseleirs, ils rentrent en tram et bus avec leurs potes comme ils disent.

Je fais désormais livreur de repas à domicile et dès que Cyril a ingurgité son quatre-heures, un candy-bar ou une tartine, hop on file au club. Awen nous rejoindra plus tard sur son vélo de course.

Mais ce matin après leur avoir cuisiné un succulent stoemp-carottes saucisses, j’ai eu envie de les revoir « petits » et leur ai fait quelques crêpes comme avant. Il y a des papis-gâteaux et des papis-crêpes…

On n’a que les petits bonheurs qu’on se donne. Bonne fin de semaine à tous.

Baobabs

Quand vient l’automne et ses premières pluies, c’est le moment de sarcler les sentiers du jardin. D’arracher les « mauvaises herbes ». Quand le sol est humide, les racines viennent plus facilement.

J’ai commencé hier en me rappelant ce que disait Le Petit Prince de Saint-Exupéry, il faut arracher les baobabs quand ils sont tout petits sans les confondre avec les rosiers auxquels ils ressemblent sinon ils vont détruire ma planète. Il faut dire que celle-ci était tellement minuscule qu’un baobab adulte l’aurait étouffée.

Moi ce ne sont pas des baobabs que j’arrache mais des adventices, des céréales et des maïs. Il y a quelques semaines, en effet, j’ai « semé » à l’insu de mon plein gré devant mon garage quelques graines échappées d’un sac d’aliments pour poules que j’ai troué en le sortant du coffre de ma voiture. Résultat, elles ont poussé et il y a maintenant un m2 de petits plants verts dans les graviers de mon entrée. C’est joli mais des maïs, ça peut monter jusqu’à deux mètres, ok ce n’est pas aussi haut que des baobabs mais c’est gênant quand même.

Derrière les baobabs du Petit Prince, il faut surtout comprendre ce qu’ils symbolisent. Il faut en effet arracher de notre cœur toute ivraie qui pourrait l’étouffer et le rendre sec.

Hic et nunc

Les balles fusent, sifflent, frôlent les lignes…

Mais avec mon copain Habib, on fait face, on résiste. Mieux, on les retourne et on finit par gagner les deux sets. On est heureux, même si l’important aujourd’hui n’est plus de vaincre mais de participer. D’ailleurs, pour une fois c’est nous mais souvent c’est les autres.

Oui, l’important aujourd’hui est de savourer l’instant. Profiter du ciel bleu, du vent qui souffle dans ce qu’il me reste de cheveux, du cri des oies qui passent au dessus des courts, des «  bien joué Michel » d’Habib, du bruit sympa des balles bien claquées au filet. Il y a des jours comme ça où tout, même le tennis, se déroule bien.

Quand je rentre à la maison, je surfe sur Facebook et là, changement d’ambiance, deux copains sont morts aujourd’hui. Georges J, un ancien collègue avec lequel j’ai vécu de nombreux bons moments mais que je n’ai plus revu depuis 15 ans. Et puis Lou, un producteur à succès, que j’avais pas mal fréquenté il y a plus de quarante ans quand j’écrivais des paroles de chansons et que j’essayais de les placer. Deux types de mon âge, plus ou moins. Des gars que j’estimais encore beaucoup trop jeunes pour mettre les voiles.

Je me souviens soudain d’une phrase que disait toujours un autre ami, un autre Georges, disparu hélas il y a – merde alors, déjà –  deux ans : « profitons de la vie, les mecs, les tirs se rapprochent » comme les balles de tennis de ce matin.

Oui, profitons de chaque instant, seul ou avec notre famille et nos amis. Au milieu des balles (de tennis) ou des canons (de vin)…

Les tirs se rapprochent ou, comme disait Mr Albert, mon vieux prof de Collège, « nous nous approchons de plus en plus dangereusement de l’éternité ».

Vivons hic et nunc.    

Label de défaut

Il y a quelques semaines, une rafale de vent a couché un vieil arbre près de la maison de mon frère Jacques. Pensant à me faire plaisir, Jacques est allé demander aux ouvriers de la Ville venus évacuer les branches et le tronc s’il pouvait récupérer quelques gros morceaux pour mon feu de cheminée. Pas de problèmes, nous on emporte tout à la déchèterie. Ni une ni deux, Jacques a stocké dans son garage quelques belles bûches. Il n’y a pas de petites économies d’énergie, merci frérot.

Je suis allé les chercher aujourd’hui et il m’a demandé d’identifier l’arbre. Grâce mon application PlanNet, la photo de l’écorce a reconnu soit un érable soit un platane. J’ai opté mentalement pour « érable » et suis allé ramasser cette feuille près de la souche pour certification. – « Mais pourquoi ramasses-tu ça ? » m’a demandé Jacques. – « Ça me fait penser au Canada et à mes deux années passées là-bas ». – « Mais elle est abîmée… » – « Justement, ma vie là-bas n’était pas toujours parfaite non plus ».

Au journal TV de ce soir, j’ai appris que notre Wallonie dont on célèbre les fêtes ce week-end voyait se développer des projets innovants pour valoriser son trésor vert, les forêts ardennaises. Une grande majorité du bois de qualité étant exporté en Chine, il ne reste souvent pour le marché local que les essences de moindre intérêt et les troncs présentant des « défauts » destinés au bois de chauffage.

Une nouvelle entreprise a cependant choisi de traiter ces bois de seconde zone dans des fours à chaleur, un procédé naturel pour les embellir. Et de les réserver ensuite pour des ébénisteries locales très « singulières » dont les designers et artisans créent des meubles inspirés par ces « défauts ».

Nœuds, fibres torses, tissus éclatés… toutes ces imperfections qui condamnent d’ordinaire les planches à être broyées en pellets sont au contraire « traitées ici comme des singularités et non des défauts autour desquelles nous allons imaginer les formes du meuble à créer » explique avec passion un des artistes-ébénistes occupés à poncer une belle table originale.

J’adore cette approche. J’aurais bien voulu faire la pub d’entreprises qui voient dans les défauts des singularités à exploiter. Imaginez un Label de défaut !

Il est où le bonheur ?

La fraîcheur est enfin revenue mais elle traîne avec elle la grisaille et la mélancolie. Le temps, les temps, sont à la tristesse, hier le Maroc et maintenant la Lybie, et toujours l’Ukraine et les terribles angoisses planétaires…

Alors bien sûr, il y a la routine des sourires, des moments de plaisir avec la famille, les amis mais ils sont trop rares. Sur nos écrans, la télévision, la radio, l’internet sont pénibles avec leurs mises en scène des malheurs ou pire encore leurs gesticulations grotesques et leurs émissions de « faux bonheurs ».

Il me reste alors pour m’évader la lecture, l’écriture, le dessin, le jardin mais pour ces activités, il faut, oserais-je le mot, du courage. Celui de se forcer quand on a plutôt la flemme, l’envie de rien, les paupières lourdes, le corps fatigué par la lourdeur du temps.

J’avoue ces derniers temps avoir laissé tomber de mes mains pas mal de livres entamés, aucun ne captant mon attention lasse. Je n’ai pas non plus beaucoup tapoté mon clavier ni griffonné dans mes carnets de notes et de croquis. Je reconnais aussi avoir négligé mon jardin, la canicule n’incitant pas à l’effort.

Et puis, j’ai eu un sursaut au détour de la bibliothèque de ma femme. Je suis tombé sur un livre de Christian Signol, « écrivain de terroir » dont les grandes sagas me touchent peu mais dont ce titre m’a interpellé, Les vrais bonheurs (éd. Albin Michel 2005). Un livre lent comme un long voyage à pied en solitaire dans des sentiers, à travers champs et forêts, loin des troubles et agitations du monde. Un hymne aux beautés du monde que l’on oublie de voir, « L’eau, les arbres, la neige, les aubes, les soirs, les saisons… la splendeur du monde est infinie ». Non, il ne s’agit pas d’un énième missel de messe écologique (ce livre date de près de 20 ans) mais d’un profond et sincère témoignage d’amour à la nature, notre seule et véritable source de bonheur. Sans prêchi-prêcha. Des pages juteuses comme des mûres cueillies dans les ronces ou âpres comme des poires sauvages. Un vrai livre de respiration, de ressourcement, de méditation et de poésie.

Et parfois même un mode d’emploi : « Car le vrai bonheur nécessite un minimum de solitude, afin de se trouver soi-même ; de rencontrer l’être qui est en nous, celui que rien ni personne n’a modelé – celui qui se souvient d’où il vient et qui il est réellement ».

Mar🖤c 

Comme je l’ai écrit dans un billet consacré à l’anniversaire du drame du Bois du Cazier à Marcinelle du 8 août 1956, on a tous ou presque au moins un ou une Italienne (d’origine en tout cas) dans notre famille ou notre cercle d’amis. On n’imagine plus la Belgique sans eux. On est tous un peu Italiens.

On peut dire la même chose à l’égard des Marocains. Moi je pense très fort aujourd’hui, entre autres, à Sami et Redouane, les copains de foot de mes gamins, à Yasmina qui venait faire le ménage à la maison il y a quelques années, à Youssef et Karim qui tenaient l’épicerie du village et qui étaient tellement fiers de leur équipe lors de la dernière coupe du monde de foot au Qatar, et surtout à Habib, un ami d’enfance et de tennis aujourd’hui. Oui je pense particulièrement à Habib, rescapé du terrible tremblement de terre d’Agadir de 1960 et qui fut adopté et éduqué par une famille belge. J’entends à l’instant à la radio que le nombre de victimes du séisme d’hier dépasse les 2000 victimes et il ne s’agit, hélas, que d’un bilan provisoire. Parmi les Marocains de chez nous que nous connaissons, ils doivent être nombreux à être touchés dans leur famille. Je pense très fort à eux, je prie aussi même si je ne crois pas trop. J’ai été revoir dans mes albums quelques photos de voyages là-bas et j’en suis très ému. La région de Marrakech qui m’avait tant plu dévastée. J’ai beaucoup travaillé il y a une dizaine d’années pour le tourisme tunisien et voyagé pas mal là-bas, je sais ce ne sont pas les mêmes pays mais il y a beaucoup de similitudes, et j’ai développé depuis lors beaucoup d’affection pour le Maghreb…

Mais pourquoi tant de malheur ? Et toujours chez les plus démunis. Je me sens un peu Marocain aujourd’hui.   

Vieux beau

Ses feuilles sont couvertes de taches de rousseur comme le dos des mains des hommes de mon âge. Il a les branches tordues comme nos bras et jambes de seniors. Il occupe pas mal d’espace et brasse beaucoup d’air comme nous les retraités qui ne voulons pas toujours nous effacer pour laisser la place aux jeunes pousses. Mais comme beaucoup d’entre nous, il est malade.

Lui, c’est de la rouille grillagée, une maladie causée par un champignon qui se développe en hiver sur les génévriers (des conifères semblables aux cyprès) et dont les spores sont transportés au printemps par le vent sur les poiriers environnants qu’ils infectent d’un « covid » incurable. Seul remède, éliminer tous les génévriers dans un rayon d’un ou deux kilomètres. J’imagine la tête de mon voisin si une nuit je commençais par tronçonner sa haie !

Mes deux poiriers devront donc vivre avec leurs pustules rouges. Ils n’en souffrent pas vraiment, ils sont juste devenus peu voire plus du tout productifs. (Comme beaucoup d’entre nous). Mais ils ne causent de tort à personne, ils ne sont pas contagieux. Leurs collègues fruitiers comme les pommiers, pruniers ou cerisiers n’ont rien à craindre.

Ils sont simplement rouillés et stériles mais toujours de bonne compagnie. Et quand le soleil les illumine d’or comme ce soir, j’ajouterais qu’ils portent encore très beau dans le décor (…oserais-je dire comme beaucoup d’entre nous ?)

Alors non, je ne vais pas suivre le conseil de mon voisin qui me dit à chaque fin d’été de l’abattre : « Il ne donne quand même plus rien pourquoi le gardes-tu ? ».

Parce que. Point.  

Marseille ?

L’un monte la chaussée de Waterloo, l’autre la descend. Les deux s’arrêtent chez Esso pour faire le plein. Le soleil cogne.

– Lui : « Fait douf hein !

–  Moi : « On ne va pas se plaindre, on dirait qu’on est encore en vacances au bord d’une route du Midi et que l’on s’est arrêté pour la pause carburant. Dommage qu’il n’y a pas une table et un parasol pour trinquer ».

– Lui :« Oui, ça n’aurait pas fait de tort un petit rafraîchissement, le thermomètre de ma voiture signale 30° »

Moi : « Au tableau de bord de la mienne, j’avais 34° »

– Lui : « Ah ! … vous l’avez louée à Marseille ? »