La pépinière est vide, il est midi, les clients ne viendront qu’après le déjeuner. Le patron est à la caisse devant son ordinateur, je suis seul à pousser ma charrette dans les sentiers bordés de beaux plants de rosiers et de fruitiers. Il pleuvine, il ne fait pas très chaud, je cherche un beau pommier basse tige à planter. Je suis bien, je n’ai qu’une interrogation en tête: quelle variété choisir ? Je veux de belles pommes à croquer, bien sucrées et bien juteuses. Des Cox Orange, par exemple. Ou des Reinettes Grises du Canada. Ou encore des Jonagold.
Pour être sûr de ne pas me tromper, je reviens à l’entrée demander conseil au pépiniériste. Mais il ne peut se déplacer à cause d’une blessure au pied et appelle son assistant occupé à déjeuner dans un petit hangar à quelques dizaines de mètres de la serre principale. « Julieeenn, un clieeent !»
« Rien ne presse, lui dis-je, laissez-le finir son sandwich à l’aise, je vais continuer à me promener dans les allées ». J’ai à peine terminé ma phrase que Julien est là, la joue gonflée, terminant de mâchonner une dernière bonne grosse bouchée.
Avec un sourire éclatant et un accent ensoleillé, il me demande ce que je veux et propose de m’accompagner pour m’aider à choisir. Il n’a pas l’accent de chez nous ce garçon et je ne l’ai encore jamais vu à la pépinière.
– Vous n’êtes pas d’ici vous, vous avez un bel accent du Sud. Vous êtes Français ?
– Oui, je vieng de l’Aveyrong
– Oh ! l’Aveyron, une sublime région, un climat de rêve… qu’est-ce qui vous a donc amené dans les brumes du nord sous notre triste ciel gris ?
– Une jolie fille, ma fiancée qui habite à Liberchies, la commune d’à côté
– Ah, l’amour, je comprends
Il me montre quelques jeunes pommiers et me recommande un plant vigoureux de deux ans, de variété Jonagold : « Une belle race mise au pointg dans votre Bellegique ».
Je suis son conseil et emporte le jeune arbre. C’est le week-end de la Sainte Catherine, celui où tout bois prend racine. Je l’ai donc repiqué cet après-midi dans le petit verger au bout du jardin là où j’avais planté, il y a trente ans, mon vieux prunier mort cet été.
En creusant la terre, je m’interroge sur le plaisir intact que me procure cette nouvelle plantation. Des arbres et des buissons, j’ai dû, en effet, en planter des centaines. Et à chaque fois, c’est la même joie simple, un moment de jeunesse car empreint d’espoir. Chaque plantation est un début de vie, la promesse de printemps, de croissances, de floraisons, de fruits. De soleils et d’ombres. De bonheurs, quoi.
L’histoire de ce nouveau venu dans mon jardin a bien commencé, je l’appellerai mon pommier d’Aveyron.