Gouttes de bonheur

Il est des odeurs qui rendent heureux. Des senteurs d’enfance, le plus souvent. Le parfum des tartines au sirop de Liège que ma mère préparait pour mes frères et les copains venus jouer à la maison. Le bouquet de lilas du jardin de mon école primaire ou encore la sciure de bois de l’atelier de menuisier de mon grand-père, je l’ai déjà écrit dans de précédents billets.

Aujourd’hui, ce sont d’autres bouffées d’un merveilleux passé qui me sont remontées au nez. Les brumes des blés après une drache d’été. La journée a été relativement chaude et lourde, les nuages noirs ont menacé d’éclater depuis le matin. En début de soirée, ils se sont enfin déchirés et la pluie est tombée drue et crue sur la campagne. Les champs ont alors exhalé une bonne haleine fraîche.

Des effluves qui m’ont rappelé de belles journées adolescentes de quand j’étais au camp de Patro. Nous partions dans les Ardennes, pour une dizaine de jours, dormir sous la tente, jouer dans les bois et vivre au grand air. Le moment fort du camp était le hike, la marche de deux jours à la boussole, avec dans notre sac à dos quelques patates et saucisses à cuire sous et sur la cendre d’un feu de bois, si du moins nous avions la chance de pouvoir en allumer un. Fallait pas qu’il pleuve pour ça ! Moi, je ne me souviens pas d’un repas chaud pendant ce genre de raid.

La pluie d’aujourd’hui et ses odeurs d’été mouillé m’ont replongé dans ces moments où rien n’altérait notre bonne humeur. Ni un sac à dos rempli de flotte, ni des pieds clapotant dans nos chaussures, ni des ruisseaux dans notre dos sous l’anorak, ni nos longues recherches nocturnes d’une étable ou d’une grange où nous sécher et passer la nuit.

L’odeur qui monte aujourd’hui des champs de mon village me rappellent, comme si c’était hier, un soir formidable où trempés comme des truites de Lesse, à six copains harassés par une journée de marche sous les cordes, nous avons été hébergés par un vieux monsieur quelque part du côté de Rochefort. Il nous avait accueillis dans sa cuisine et allumé le vieux poêle à bûches pour nous sécher et nous préparer un grand poêlon de vin chaud. Je vois encore nos chemises, chaussettes et pantalons fumer sur les dossiers des chaises et les cordes à linge tendues sous le plafond. Je sens encore le rouge de mes joues et la tiédeur sous les couvertures qu’il nous avait données pour la nuit passée près de son feu. Une soirée inoubliable.

C’est idiot, mais j’ai envie de me chauffer un peu de vin ce soir. Juste pour l’odeur. À mélanger avec celle du crépuscule humide.

Parfums de bonheur.

photo

Laisser un commentaire