Le château de ma mère

Ce château, je l’ai retrouvé entouré de jonquilles, après de nombreux tours et demi-tours sur des petites routes de campagne oubliées.

Il y a près de soixante ans que je n’étais plus allé dans ces coins-là. J’avais à l’époque un vieux grand-oncle qui habitait à deux pas du château, derrière son vaste parc à l’anglaise et son étang. Quand nous lui rendions visite, nous devions marcher trois bons kilomètres dans la belle campagne environnante après que le bus nous ait déposés au long de la chaussée qui traverse le village. Une « balade » que mes petites jambes de six ou sept ans trouvaient interminable sauf quand nous passions devant la magnifique bâtisse blanche aujourd’hui, semble-t-il, abandonnée.

Ce qui me fascinait surtout dans cette belle propriété que je n’ai jamais eu le bonheur de visiter, c’est que ma mère y avait cousu ses premières robes. C’est au service des propriétaires des lieux qu’elle avait, en effet, travaillé quelques mois dès la fin de ses études. Elle avait alors moins de vingt ans, était insouciante et devait sans doute rêver au prince charmant comme l’aurait fait toute jeune fille dans un cadre aussi enchanteur. Je l’entends encore parler, un peu mystérieusement, des « Demoiselles du château » pour lesquelles elle coupait, piquait et cousait vêtements et linges de maison.

J’avais presque oublié cet endroit et ce morceau de mon enfance car le chemin qui nous y conduisait n’existe plus depuis longtemps. De nombreuses routes s’entrecroisent aujourd’hui sur ces terres où l’on a beaucoup construit, où le vieux canal a été modernisé et élargi et où un parc industriel a poussé à la place des blés et des maïs.

C’est par hasard que je me suis retrouvé là-bas cet après-midi et que j’ai pris la peine de retracer au pifomètre les sentiers du « château de ma mère », de son vrai nom le château de Buisseret.

Et le village où il se trouve s’appelle joliment, en accord avec mes souvenirs, Familleureux.